
Les élites britanniques ont acquis, au fil des siècles, une réputation de gens intelligents, pondérés, subtils, inimitables dans l’art de manier l’humour et l’autodérision. La diplomatie britannique s’est toujours déployée de manière habile, perfide certes, mais habile. Et voici que, bouleversant tous les codes et les idées reçues, Theresa May prend la tête d’une hystérique croisade contre la Russie.
Un prétexte empoisonnant
L’objet de cet article n’est pas d’analyser l’affaire du Novichock, encore moins d’en tirer des conclusions. Beaucoup d’articles s’en chargent, un peu partout sur internet. Rappelons simplement les faits, tels qu’ils sont résumés dans cet article de dedefensa.org :
- Le 4 mars, un ancien agent double russo-britannique, Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Youlia, 33 ans, sont retrouvés inconscients sur un banc à Salisbury, dans le sud de l’Angleterre.
- Theresa May prétend que Skipral et sa fille ont été empoisonnés par un agent neurotoxique fabriqué en Russie et donne à la Russie 24 heures pour expliquer cette situation d’une manière qui la satisfasse.
- En vertu de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, la Russie demande à la Grande-Bretagne un échantillon de l’agent neurotoxique utilisé, ainsi que tous les éléments de preuve connexes découverts au cours de l’enquête, le traité donnant 10 jours à la Russie pour répondre.
- La demande de la Russie est refusée par la Grande-Bretagne.
Chacun pourra approfondir la question, tirer les conclusions qu’il voudra, là n’est pas le sujet de cet article. Car sitôt après avoir désigné le coupable, en l’occurrence la Russie, Theresa May lance une hystérique campagne contre la Russie, entraînant les États-Unis, la France et l’Allemagne à la soutenir.
Qu’a donc bien pu faire la Russie pour s’attirer les pithiatiques foudres d’un pays réputé pour sa tempérance et son flegme ?
Les fondements de la puissance britannique
Dans un article de 16 pages du 27 mars 2013, Odile Mojon fait brillamment l’analyse et la synthèse du livre de Nicholas Shaxson Les paradis fiscaux – Enquête sur les ravages de la finance néolibérale. La thèse de Nicholas Shaxson est assez simple : après la Seconde Guerre mondiale, face à l’intransigeance de Roosevelt, la Grande-Bretagne a dû abandonner son empire colonial ; mais en fait elle a mis en place une autre forme de colonisation, de type impérial, sur le terrain du contrôle des flux financiers, en s’appuyant sur l’idéologie ultralibérale.
Sans entrer trop dans les détails, l’idée centrale est que la dette est l’instrument d’asservissement des peuples [les intérêts de la dette constituent l’impôt que les banques prélèvent sur les peuples] d’une part, et que les paradis fiscaux sont les structures qui permettent d’accélérer l’endettement des pays en fournissant « à quelques privilégiés le moyen d’échapper aux obligations qui incombent à tout un chacun du fait de vivre en société – des obligations telles que payer ses impôts, se soumettre aux lois économiques, pénales, successorales, etc. » (sic).
Pour revenir au sujet de cet article, il y a donc à parier que si la Grande-Bretagne est à ce point en colère contre la Russie, c’est que la raison se situe probablement dans la sphère de la finance internationale, actuellement dominée par les anglo-américains. Ayons bien en tête que La City et Wall Street sont intimement liées d’une part et que les stratégies économiques et financières de la Russie et de la Chine sont probablement coordonnées en partie d’autre part. Quant à savoir qui de La City ou de Wall-Steet a l’ascendant sur l’autre, c’est une autre histoire.
Qu’a donc fait la Russie ?
Je ne suis pas un spécialiste des questions financières, loin s’en faut, aussi je me contenterai d’évoquer les informations dont je dispose sur les activités financières russes, et chinoises, ces dernières années, qui auraient pu susciter le britannique courroux.
Le saviez-vous ? :
- Le système SWIFT : « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication » est est un système de communication internationale qui permet aux banques de faire des transferts électroniques entre elles. Il est contrôlé par les États-Unis et la Grande-Bretagne, ce qui leur donne toutes les informations stratégiques sur les politiques des banques dans le monde entier. À la suite d’une attaque contre une banque russe via SWIFT, la Russie a développé son propre système interbancaire. La suite logique est que l’abandon de SWIFT par les BRICS, puis par d’autres pays, n’est qu’une question de temps.
- La Russie et la Chine échangent dans leurs monnaies nationales ou en or, plus en dollars. Il en est de même pour les pays des BRICS et de l’OCS. La Chine achète son pétrole au Venezuela en yuans, et négocie probablement la même chose avec l’Arabie saoudite. En somme, ces deux pays organisent la dé-dollarisation du commerce international.
- Selon Sputnik, le média russe, la Russie « se défait d’une manière intensive de ses bons du Trésor américains et ce malgré le fait qu’au cours de l’année dernière elle avait augmenté leur part dans ses réserves. À ce jour, la situation a changé et la Banque centrale du pays les vend à la plus haute cadence enregistrée depuis 2011. » En parallèle, elle accélère son rythme d’achat d’or. La Chine fait de même.
- … Il y a probablement d’autres indicateurs ou faits qui peuvent étayer les stratégies financières et économiques russes et chinoises. Je suis preneur de ces informations.
Conclusion
Nous sommes peut-être à la veille ou en cours d’assister à la fin de la domination anglo-américaine sur l’économie et la finance internationales. Celle-ci fait suite à la perte de la domination américaine dans le domaine militaire, ainsi que je l’explique dans mon précédent article. C’est donc le deuxième pilier de la stratégie intégrale qui file des mains anglo-américaines, après le pilier militaire. Le troisième pilier, culturel, ne tardera pas à suivre.
En tous cas, les hystériques hurlements de Theresa May indiquent que quelque chose de très grave contre les intérêts fondamentaux britanniques est en train de se produire, et la Russie est impliquée.
Enfin, pour revenir sur l’affaire du poison, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, promet jeudi un « cadeau historique » au Royaume-Uni en réponse à la « provocation colossale » de Londres.
Alors attendons, … Le retour du jeudi !
Régis Chamagne