
Après une semaine de tergiversations, de menaces de part et d’autre, de montée de la tension entre les pays occidentaux et la Russie, des frappes de missiles ont finalement été déclenchées contre la Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril 2018. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
Retenez-moi ou je fais un malheur
Rappelons succinctement la séquence qui vient de se dérouler :
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Des pays occidentaux – Grande-Bretagne, États-Unis et France – annoncent que Bachar el-Assad s’apprête à massacrer son peuple avec des armes chimiques et que s’il le faisait, il aurait franchi une ligne rouge et serait soumis aux représailles de ces mêmes pays.
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Bachar el-Assad, qui, avec l’aide de la Russie, a quasiment libéré la Syrie de DAESH, Al-Nosra et autres djihadistes, franchit la ligne rouge, comme un grand. Avouez que c’est crédible.
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Aussi sec, nos trois pays annoncent qu’ils vont attaquer la Syrie pour punir son chef d’État.
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Vladimir Poutine déclare alors que si des Russes, qui sont nombreux en Syrie, sont attaqués, alors la Russie ripostera en détruisant les missiles occidentaux avec ses S-300 et S-400, et qu’elle attaquera les plates-formes de lancement de ces missiles. Cela s’appelle une manœuvre de dissuasion. Il s’agit de faire peser sur l’adversaire une menace telle qu’il n’ait plus intérêt à attaquer. Il y perdrait beaucoup plus qu’il y gagnerait.
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Le ton monte dans les capitales de nos trois pays : « Vous allez voir ce que vous allez voir. » ; « Nos missiles tout beaux, tout neufs, sont sur place. » ; « C’est pour demain. »… Tout cela au nom des droits de l’Homme comme il se doit.
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Puis une période de flou s’installe. On ne sait finalement pas quand quand l’attaque va avoir lieu, ni même si elle aura lieu.
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Il semble que des contacts ont lieu entre les parties en présence, à des niveaux élevés.
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Finalement, dans la nuit du 13 au 14 avril, des missiles frappent la Syrie.
Que savons-nous de ces frappes ?
D’après les informations diffusées dans les médias dominants :
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Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont tiré une centaine de missiles sur des sites en Syrie. Il s’agit donc d’une opération limitée.
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Aucun Russe ne se trouvait à l’endroit des sites visés.
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La Russie n’a pas mis en œuvre ses systèmes de défense antiaériens S-300 et S-400.
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La défense antiaérienne syrienne aurait abattu une bonne proportion de missiles occidentaux. Leur nombre reste à confirmer.
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Les sites visés seraient principalement des éléments du complexe chimique syrien clandestin : un centre de recherche et deux sites de production et de stockage d’armes chimiques. Quelques installations militaires syriennes ont également été ciblées.
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L’Élysée affirme que les cibles ont été choisies de façon à ne pas provoquer l’escalade. Le chef d’état-major américain, le général Joe Dunford, a indiqué qu’aucune autre opération n’était prévue.
Qu’en conclure ?
Rappelons tout d’abord que cette attaque était illégale au regard du droit international. Les seules guerres légales sont celles en cas de légitime défense et celles sous mandat de l’ONU, avec une résolution à la clé. Cela étant, sur le plan politique, stratégique et opérationnel, on peut estimer que :
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Les Occidentaux n’ont pas osé provoquer les forces militaires russes stationnées en Syrie. La manœuvre de dissuasion de Vladimir Poutine a donc fonctionné. Les états-majors américain, britannique et français ont semblé prendre la mesure des capacités défensives et offensives de l’armée russe. Si c’était le cas, ce serait la vraie bonne nouvelle de cette farce. Car il est également possible qu’ils aient subit des pressions de la part de la Russie ou de la Chine sur le plan financier ou économique.
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Quand la surenchère verbale est allée aussi loin, il faut bien trouver une porte de sortie honorable et sauver la face. Une opération limitée que je qualifierais de « bidon » a donc été menée. Le coquelet Micron-Jupiler peut jouer les matamores, et les médias français ne se privent pas de le glorifier.
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S’agissant des cibles, est-il raisonnable de penser que l’on bombarde des sites de production et de stockage d’armes chimiques sans prendre le risque d’éparpiller des produits chimiques à des kilomètres à la ronde et de provoquer des dégâts considérables ? L’existence même de ces sites est-elle avérée ?
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Enfin, on ne sait pas s’il y a eu des contacts entre Occidentaux et Russes pour s’entendre finalement sur les cibles bombardées. La probabilité qu’il y en ait eu est non nulle.
Finalement, tout ça pour ça
Je l’ai écrit dans d’autres articles, le prétexte d’une attaque chimique de la part de Bachar el-Assad n’est pas crédible et un enfant de 10 ans peut le comprendre. Les vraies raisons qui font que les Anglo-Américains en veulent à la Russie sont ailleurs et ces raisons n’ont pas disparu. La pression est retombée momentanément mais il y a à parier qu’elle resurgira sous une autre forme. Jusqu’à ce que, finalement, le XXIe siècle s’ouvre sur un monde multipolaire respectueux du droit international. En ces périodes troublées, une petite touche d’optimisme ne fait pas de mal.
Régis Chamagne