Trump a tué la Vierge Marie au fond de la grotte de Lourdes

AF-2 First Aerial Gun Fire 10/30/2015. Pilot Maj Charles Trickey, Flt 527 Test 778. Test was conducted over China Lake Weapon Range, California.

En remettant en cause l’avion F-35, Trump s’attaque à une idole dans la conscience des citoyens étasuniens, dernier avatar d’une sensation de suprématie technologique en matière d’armements. Cela pourrait être lourd de conséquences pour la société étasunienne.

On ne demande pas à Dieu d’être efficace, on lui demande simplement de pouvoir penser qu’il existe. D’ailleurs, on ne lui demande pas son avis, on dit qu’il existe, on y croit, et cela suffit à rassurer ceux qui y croient. C’est une tautologie. Personne n’a jamais exigé de contrôle de gestion sur les affaires de Dieu, ni que les églises de tous poils respectent les normes ISO, HACCP ou HSCT, encore moins de traçabilité sur Dieu ou sur les diverses divinités qui comblent nos envies de sacré.

Il en était ainsi d’une divinité jusque-là intouchée : l’avion de combat étasunien F-35.

Suprémacisme technologique

Mais pour comprendre cela, il faut revenir un peu en arrière, au moment de la première guerre du Golfe, en 1900-1991. À cette occasion, les États-Unis avaient démontré leur supériorité dans le domaine de la maîtrise de l’espace aérien, ce qui est le préalable aux actions de surface. En effet, la supériorité aérienne permet de mener des actions de surface sans être gêné par une aviation adverse. À cette occasion, le monde avait découvert l’existence d’avions dits « furtifs ». La démonstration de la première guerre du Golfe avait été confirmée et amplifiée en 1999 à l’occasion de la campagne aérienne menée contre la République Fédérale de Yougoslavie.

Et depuis, s’était installée dans les cerveaux des militaires et des politiques étasuniens, ainsi que dans ceux de leurs supplétifs occidentaux, l’idée d’une suprématie technologique étasunienne définitive qui leur permettrait d’agir en tout lieu et en tout temps, en toute impunité. Dans la foulée de ces victoires militaires en partie dues à la supériorité technologique étasunienne du moment, galvanisés par un sentiment de toute puissance éternelle, les États-Unis se lancèrent dans des programmes d’avions « les meilleurs du monde » avant que le premier coup de crayon fût jeté sur la planche à dessin.

Réalité de la situation

Ainsi du F-22, avion de 5ème génération, dit de suprématie aérienne selon la publicité de l’époque. Il ne s’agissait plus simplement de supériorité mais de suprématie. C’est dire le sentiment de surpuissance qui pouvait animer certains esprits de l’autre côté de l’Atlantique. Or cet avion, qui devait remplacer le F-15 et dont l’USAF devait acheter 750 exemplaires, n’a été finalement acquis qu’à 187 exemplaires et n’a été employé en opération réelle qu’une seule fois, symboliquement.

L’échec technique et opérationnel non avoué du F-22 ne dégrisa pas pour autant les adeptes de la suprématie technologique étasunienne, essentiellement des néocons. La Diva absolue s’annonçait : le F-35, avion de 5ème génération, à prédominance informationnelle, bref, le meilleur avion de combat du monde pour le XXIè siècle, avant même le premier coup de crayon. Et tant que l’on y était, même pas besoin de prototype, la production en série directement. Et cela a suffit à combler les adeptes de la secte du suprémacisme technologique étasunien pendant des décennies.

Mais ces dernières années, des doutes assez sérieux ont commencé à poindre, à être mis sur la place publique et produire des effets. Par exemple, les A-10, avions du début des années 1970 spécialisés dans l’appui-feu rapproché, ont été prolongés jusqu’en 2022 car le F-35 est pour l’instant incapable de remplir la mission du A-10. Selon certains rapports, le F-35 serait aujourd’hui capable d’effectuer 5 % des missions pour lesquelles il a été développé, alors qu’environ deux centaines d’appareils équipent déjà les forces US et qu’environ 3000 sont prévus au total.

Ces rapports auraient normalement dû inquiéter les administrations Bush et Obama. Mais allez dire aux adorateurs d’une divinité que celle-ci n’existe pas ! C’est peine perdue. Car la réalité, c’est que le F-35 n’est pas un avion de combat, c’est un totem, une idole, une divinité. Le F-35, c’est l’apparition de la Vierge Marie au fond de la grotte de Lourdes. On n’assassine pas la Vierge Marie au fond de la grotte de Lourdes… jusqu’à ce qu’un pragmatique arrive aux affaires. Et là c’est le blasphème.

Blasphème

Aviation week du 27 janvier 2017 écrit : « Secretary of Defense Jim Mattis has ordered separate reviews of both Lockheed Martin’s F-35 and Boeing’s Air Force One replacement in an effort to significantly reduce the cost of both programs, and in a blow to Lockheed has named Boeing’s F/A-18 E/F Super Hornet as a possible alternative to the U.S. Navy’s F-35C. »

businessinsider.com du même jour : « A release from Mattis said the deputy secretary of defense would « oversee a review that compares the F-35C and F/A-18E/F operational capabilities and assess the extent that F/A-18E/F improvements (an advanced Super Hornet) can be made in order to provide competitive, cost effective, fighter aircraft alternative. » »

Ne nous y trompons pas, la mise en concurrence du F-35 avec le F-18 modernisé signe la mort du F-35. Les arguments avancés seront certainement d’ordre financier car il sera très difficile aux étasuniens d’avouer que le F-35 est un échec technologique et opérationnel, un échec de conception et un aveuglement prolongé.

Le réveil pourrait être douloureux

En annonçant sa « glasnost », Mikhaïl Gorbatchev avait désacralisé le communisme en URSS, ce qui précipita l’effondrement de ce système. En remettant en cause le F-35, Trump désacralise la prétendue suprématie technologique étasunienne en matière d’armements et la doctrine qui va avec, dans un pays qui est une théocratie. Cette décision aura à n’en pas douter un impact considérable sur les consciences des citoyens étasuniens. L’idée d’une suprématie militaire était le dernier point d’orgueil national d’une classe moyenne en décomposition. C’en est fini. Il est probable que les citoyen étasuniens, et singulièrement les classes moyennes, ressentent la saga du F-35 comme une trahison. En tous cas, cela pourrait bien avoir des conséquences insoupçonnées sur la société étasunienne et l’idée qu’elle se fait d’elle-même.

Régis Chamagne