SOS Les instruments de bord s’affolent

Depuis le vote du peuple français contre le TCE en 2005, nous assistons au déclin des médias traditionnels. Paul Craig Roberts parle même de débâcle, dans cet article. Mais depuis le Brexit et l’élection de Trump, nous voyons sous nos yeux s’effondrer un autre pilier du système : les instituts de sondage traditionnels. Le tableau de bord s’affole.

Dans un précédent article, j’écrivais que dans l’ensemble des interactions entre les partis politiques, les média de masse et les instituts de sondage, ensemble qui fait système, le centre de gravité était composé des médias et des instituts de sondage, les partis politiques étant les éléments périphérique du système. Les uns formatent l’opinion publique avec l’appui des autres qui leur fournissent la matière première de leur propagande. C’est la fabrique du consentement en quelques sortes. Dans le cœur nucléaire de ce système, les sondages constituent des armes de manipulation massive, reprises par les médias et ceux à qui cela sert qui en appellent au « vote utile ». Utile pour qui ? Cela n’est pas dit dans la chanson…

Je me permets une petite digression sur le vote utile. Le vote utile est de l’embrigadement. Voter utile, c’est rentrer dans la troupe ou dans le troupeau, au pas et en rangs serrés ou en pagaille et bêlant derrière Panurge.

Armes de manipulation massive

Mais revenons aux sondages. Dans mon livre, j’écris ceci : « Les sondages ont pour objectif de nous interdire de réaliser que nous sommes les plus nombreux. Par exemple, telle côte de popularité de tel politicien vous sera présentée à 60 % à partir d’un échantillon représentatif de la population française, disons 1000 personnes, mais on ne vous dira pas que pour obtenir 1000 réponses il aura fallu contacter 5000 personnes et que 4000 auront refusé de répondre au sondage, ce qui ramènerait la côte de popularité de 60 % à 12 %. De la même manière, on vous présentera le résultat d’une élection en pourcentage des suffrages exprimés, jamais en pourcentage des inscrits. Ainsi, à la dernière élection législative partielle de Strasbourg, les médias présentent le score du vainqueur à 53,8 % alors qu’il a obtenu 10,1 % des inscrits, c’est-à-dire l’adhésion d’un électeur sur 10, pas plus. »

En fait, j’étais déjà loin de la réalité. Aujourd’hui, les instituts de sondage ne procèdent déjà plus par téléphone ni par le porte-à-porte tant la population refuse massivement de jouer leur jeu. Depuis un certain temps, les sondages se font en ligne, avec internet comme support. Mais le problème est que les sondages en ligne comportent un biais énorme qu’il est très difficile d’estimer, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

Le brouillard de la guerre

Du reste, on observe que les instituts de sondage se sont trompé à propos du Brexit, qu’ils se sont trompé à propos de l’élection étasunienne, qu’ils se sont trompé à propos des « primaires » françaises. Corrélativement, ils ne font plus la une quotidienne des médias traditionnels et ne sont probablement plus autant appelés à la rescousse par les partis politiques. Souvenons-nous qu’il y a dix ans, avant l’élection de Sarkozy, les médias et les politiciens étaient littéralement shootés aux sondages, sous perfusion, complètement drogués. C’est à ce genre de changement de comportement que l’on mesure la transition de phase en train de s’opérer.

Les médias de masse et les instituts de sondage constituent le quatrième pouvoir. Le cinquième pouvoir, celui de l’internet est en train de le dépasser à une vitesse folle. Le quatrième pouvoir est plongé dans le brouillard de la guerre. Cette expression a été créée par Carl von Clauzewitz qui écrit, dans « De la guerre » : « La grande incertitude d’informations en période de guerre est d’une difficulté particulière parce que toutes les actions doivent dans une certaine mesure être planifiée avec une légère zone d’ombre qui […] comme l’effet d’un brouillard ou d’un clair de lune, donne aux choses des dimensions exagérées ou non naturelle. » Cela s’applique à la situation que vivent les faiseurs d’opinion du temps jadis. Ils n’ont plus la boussole qui leur permettait de planifier leurs actions.

Données en accès libre et tambouille algorithmique

Du coup, émergent sur internet des nouvelles façons d’estimer à l’avance le résultat d’un vote. En utilisant les données disponibles en ligne comme matière première (nombre de suivis sur Twitter, de « j’aime » sur Facebook, ou ce genre de choses) et en utilisant des outils mathématiques dont elles gardent le secret, mais probablement liés au calcul de la complexité (probabilités, possibilités, etc.), certaines personnes développent l’embryon de ce que seront demain les outils de mesure de l’opinion. Et pour l’instant, il semble que cet embryon fonctionne déjà mieux que les méthodes dépassées des cacochymes du système.

Pour ma part, je suis depuis un certain temps le site politologue.com. Il est un site parmi d’autres qui s’est lancé dans ce genre de prévision. Cet article en parle très bien.

Transition de phase

Nous assistons bel et bien à l’effondrement d’un système dépassé et à l’émergence d’un monde nouveau. Le cœur nucléaire de l’ancien système est en fusion, mais loin de nous irradier, cette fusion nous libère, et c’est là la bonne nouvelle.

Régis Chamagne