Lettre d’un ami

Je publie le texte d’un ami. À lire jusqu’au bout. Il fait référence à un livre de Henri Frenay, chef du réseau de résistance Combat, « La nuit finira ». Je me suis juste permis d’ajouter des titres de chapitre.

La nuit

C’est la nuit sur Paris, c’est la nuit sur mon pays, la nuit sur ma patrie. Alors que les doutes de ma plume sont chaque année plus noirs, quand je m’en saisis pour passer avec vous cette magnifique fête de Sol Invictus, je ne souffre aucun flottement, lorsqu’à l’instar d’Henri Frenay, je songe à demain ; la nuit finira. C’est en avançant dans la nuit que l’homme que je suis apprend à hésiter, à peser, à polir, à repenser, avant de poser des lignes dont la lourdeur du sens se révèle avec le temps qui s’écoule. Mais c’est à mesure que la nuit qui me baigne s’épaissit, que s’évanouissent les hésitations qui m’étreignent quant à l’itinéraire menant aux lumières des jours nouveaux ; la nuit finira. C’est lorsque sombrent les pâles teintes opalines de la lune qui abdique que je me méfie chaque fois un peu plus de mes mots. Mais c’est dans l’obscurité qui se barricade pour se garder de la moindre flammèche à même de troubler la tranquille inertie des ténèbres que mon pas s’assure sans plus craindre l’écueil ; la nuit finira.

 Les mots

Je marche vers vous avec mes mots dans la nuit, sachant où vous êtes, sans être certain qu’ils vous trouveront, mais chaque solstice nouveau me donne la hardiesse de laisser mes questionnements de côté, pour venir à votre rencontre avec quelques pages nouvelles destinées à le marquer. S’il m’est toujours plus simple d’écrire in abstracto, sans avoir à tenir compte de la réalité des personnes physiques qui me liront ou ne me liront pas, il m’est toujours plus difficile d’infliger mes humeurs, mes élucubrations et mes avis à mes amis, ma famille, ou aux connaissances plus neuves qui viennent avec l’hiver irriguer nos discussions d’une sève nouvelle, présageant tant de nouveaux printemps ; tous ces êtres bien concrets, susceptibles d’être blessés, offusqués, intimidés ou crispés par le ton parfois peu en phase avec l’esprit de trêve régnant sur cette époque de l’année, pour tenter de dire sous une forme littéraire ce que j’écris durant tous les mois qui la précèdent, en me réfugiant derrière moult chiffres, références et autres factualités, qui sont autant de confortables barrières, voire de paisibles citadelles, permettant d’esquiver le jugement de valeur brut et sans ambages. Le discours scientifique qui allègue, suppose, argumente, formule des hypothèses, si indispensable soit-il, éclipse la controverse populaire et fait taire la querelle en même temps qu’il euthanasie insidieusement la voix de chacun et la démocratie, par la spécificité de l’argumentation qu’il exige et la particularité des formes qu’il requiert pour l’exprimer. Il faut être poli, écouter l’autre, s’évider de toute libido conflictuelle et rester courtois en toutes circonstances. Le smicard picard à bout de souffle, qui ne connaitra pas ces codes obligatoires, sera donc privé de voix, mis sous silence au nom du respect de la diversité des opinions, puni de participation à la construction du compromis indispensable à la formation du socle de toute société humaine. Et s’il lui arrivait de déchirer la chemise blanche de celui qui vient de le priver de sa capacité à subsister et faire subsister sa famille par un simple trait de plume en or blanc sur son nom, il serait bien sûr sévèrement sanctionné, car l’exclusion de la violence est le préalable de toute forme de démocratie.

Le combat

Sortir de cette forme d’expression oblige à trouver la confiance pour traverser à découvert, sans gilet pare-balles, en quittant ses douillets vêtements de « scientifique » pour leur préférer une prose dénudée, exposée aux blizzards des réactions qu’elle peut et doit légitimement provoquer ; oblige au partage sans détour prenant le risque d’avoir à essuyer la pensée contradictoire sans tenter de se mettre à l’abri derrière une quelconque forme de réalité. L’acte littéraire impose de trouver l’orgueil d’écrire. Un orgueil pourtant en profonde contradiction avec l’écriture elle-même qui, par le ponçage permanent du superflu qu’elle exige pour s’adresser d’abord au cœur et seulement ensuite au cerveau, impose une mise à nu peu compatible avec toute forme de narcissisme. Sans doute, la littérature doit-elle à cette profonde incohérence qu’elle parvient à faire cohabiter et tenir en elle, son incomparable capacité à dire. Oui, seule l’expression littéraire, aussi subjective qu’elle puisse être, permet la clarté par l’absence de pudeur qu’elle implique. Elle seule permet d’affirmer sans détour que le député qui massacre son ex camarade à coups de casque de moto est un voyou de la plus basse espèce, et que le futur chômeur qui ne dispose que de ses poings et d’une barre de fer pour s’opposer à la délocalisation de son usine au fin fond de la Roumanie défend simplement sa dignité et celle des siens. Seule l’expression littéraire, si sommaire soit-elle parfois, peut briser le tsunami de vacuité qui nous inonde pour nous noyer dans un flot d’incompréhensions et d’irénisme pathologique. Seule l’expression littéraire permet de transcender l’argument pour lui donner une audience à laquelle la seule rationalité ne l’aurait jamais autorisé. Seule l’expression littéraire permet la construction de propos univoques qui formeront un jugement qui finira par trouver sa place au sein d’un consensus sur lequel s’érigera le rassemblement.

 Éradiquer la novlangue, mère des batailles

Alors cette année encore, je viens à vous avec des prétentions littéraires toujours plus difficiles à assumer, quelques flèches bien taillées dans mon carquois, affranchi des usages du débat dit démocratique, dont la règle du jeu n’est là que pour exclure l’essentiel de la population de la délibération. Je viens vers vous avec des prétentions littéraires toujours plus tremblantes mais une volonté toujours plus prégnante : aller vers l’édification d’un consensus sans lequel toute tentative de sortir du totalitarisme sournois qui nous gouverne est condamnée à la lapidation par les ayatollahs en poste au pays de Voltaire. Car le consensus ne se fabriquera pas avec les outils linguistiques inventés par le système pour son seul maintien. Tous les totalitarismes du XXème siècle ont élaboré une langue qu’il était obligatoire d’emprunter afin d’asseoir le primat de la forme sur le fond et de décérébrer toute forme d’opposition raisonnable par la destruction de l’esprit. À cet égard, les oppositions fantoches formulées en novlangue médiatique que l’on nous propose à longueurs d’ondes, participent beaucoup plus de la volonté de généraliser une nouvelle « Lingua Tertii Imperii », selon les mots de Victor Klemperer, que d’assurer la liberté d’expression, la pluralité des débats et la diversité des opinions et autres mièvreries ayant pour unique fin l’éradication de toute pensée subversive. L’éclosion du consensus suppose la dispute et l’affrontement préalables, parce qu’il est l’instrument de leur dépassement. Il naît de la discorde dont les termes sont clairement posés sans qu’aucune police du langage – et donc de la pensée – n’en borne l’expression. Illusoire est le libre-arbitre concernant ce à quoi nous adhérons, ce que nous pensons, croyons ou défendons. Et le serf arbitre, cher à Luther en ce 500ème anniversaire du début de la Réforme, impose de redonner à l’échange la possibilité d’une radicalité et d’une réelle clarté, exonérées de toute ambiguïté, y compris si la netteté passe par quelques inélégances. Parce que nous sommes les otages de nos convictions, celles-ci ne peuvent ni faner, ni se taire, mais simplement prendre acte du consens duquel elles participent plus ou moins et qui accouche dans la douleur du rassemblement de tous les Français.

 Micron-le-vide

Car notre pays est bien plus menacé par l’invasion du vide, que par celle de l’ami syrien ou libyen, poussé sur les chemins de l’exil par nos bombes, lancées sur lui au nom de la paix… Le vide qui fait de la guerre un acte de paix. Le vide qui prive des vraies explications au nom de la concorde civile qui ne cesse de se disloquer à mesure qu’aux printemps porteurs d’espoirs succèdent de nouvelles mesures austéritaires des automnes noirs. Le vide qui présente sans ciller une défaite diplomatique en victoire, une régression sociale en mesure de croissance, un recul de l’Union européenne comme une chance pour elle. Le vide au sein duquel tout se confond sans plus de direction lisible, tout se dit mais rien ne donne de sens, tout réussit à l’équipe d’inconnus au pouvoir, alors que jamais n’apparait la moindre traduction concrète de ses exploits, le vide d’une surexcitation permanente au sommet des ministères alors que le gouvernement est au chômage face à un président fier de se comporter en fourrier des affaires de l’État. Micron Augustule s’enorgueillit d’être partout ; partout où il ne doit pas être alors qu’il n’est présent nulle part où il le devrait. Un sourire, un brushing, quelques litres de kérosène et hop, une nouvelle Europe naîtra bientôt, c’est promis ! En revanche Monsieur le Président échoue en personne à faire interdire le glyphosate au sein de l’Union. Sans doute est-il plus simple de contraindre l’Allemagne de renoncer à une part de ses excédents commerciaux tout en acceptant une mutualisation de la dette européenne que d’interdire un herbicide… En attendant, le président du vide enchaîne les discours pour ne rien dire et l’oligarchie jubile en contemplant sa nouvelle poupée gonflable. Petite poupée qui va à travers le monde recevoir l’humiliation, usant ses genoux aux pieds des grands dirigeants de la planète. Petite poupée adepte de la fessée polonaise lorsqu’elle voyage en Bulgarie. Petite poupée, toujours élégante sur ses talons aiguilles, séduit jusqu’à Papa Schulz qui veut sauvagement faire les États-Unis d’Europe avec elle. Petite poupée qui aime à se faire cracher dessus partout où la France fut grande un jour en incarnant la liberté qu’elle tenait pour devise. Peu importe, tant que Petite poupée dispose du soutien de ses Protecteurs, elle pourra continuer à penser nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les gardiens du vide veillent sur elle. Les ploutocrates aiment l’argent autant que le vide tant que l’absence de politique qu’il induit facilite leur enrichissement. Dans la discrétion des arcanes, dans l’intimité du Siècle ou des chalets cossus de Davos, ils s’érigent en remparts autour du président du vide afin que rien ne puisse le dissuader de ne rien décider. Bannir à jamais la politique de la vie des nations, bannir à jamais les nations de la vie économique, telle est l’utopie de la ploutocratie. Le monde de l’argent ne discute pas, il calcule. Tournent les processeurs tandis que les fortunes désignent leurs oligarques et achètent les journaux destinés à les promouvoir. D’éditoriaux mensongers en reportages tronqués, tout le monde, vu de France, célèbre à l’unisson l’avènement du vide. On chante les louanges de Jupiter dans les papiers, alors qu’une poignée d’éditocrates coprophages défèquent ad nauseam ce qui, chez eux, tient lieu de matière grise. On vante la politique du psittacisme et on vénère les mantras de la nouvelle économie. La stabilité est enfin là pour une expansion sans limite et sans heurt d’un capital qui ne produit rien d’autre que la pauvreté de la plupart. La richesse qui paupérise et ses suppôts sont au pouvoir en France, dans une léthargie politique propre à leur faire croire que les temps sont bel et bien terminés, comme l’avait dit leur Rousseau des années quatre-vingt-dix, un ingénu qui se prenait pour un philosophe, ce dénommé Fukuyama, qui n’avait finalement pour tort que d’avoir raison trop tôt. Si la politique n’existe plus, il n’existe plus de possibilité d’en changer ! Plus de débat sur la redistribution du revenu national ; voici De Gaulle, Jean Moulin et le Conseil national de la résistance jetés dans la fausse commune des partageux, sur les corps putréfiés de Gracchus Babeuf, Andrew Jackson et Franklin Roosevelt.

 La forêt des Carnutes

Mais dans la forêt de Carnutes on discute, on chicane, on s’explique, on s’escarmouche, on se bouscule sur les responsabilités de chacun concernant la tragique réalité que nous vivons. Parce que nous savons bien que dans notre forêt, rien de ce qui concerne l’avenir de notre pays n’a jamais été retiré de l’ordre du jour, tout comme nous savons que dans nos gauloiseries toujours montrées du doigt depuis l’extérieur, nous sommes invariablement parvenus à surmonter les divisions ancestrales et intestines de notre nation. Nous n’avons besoin ni de tuteur germanique, ni de prescripteur atlantique pour la marche de notre communauté. Nous connaissons toute l’indolence dont nous fumes capables au cours de notre longue histoire, depuis la Gaule que nous laissâmes baptiser comme telle par l’occupant Romain, puis le Royaume des Francs, le Royaume de France et enfin la France. Mais nous n’eûmes jamais besoin de personne pour nous faire la leçon quant à ce que nous étions et ce qu’il nous fallait être. Aujourd’hui pas plus qu’hier, nous n’avons besoin d’une vie nationale conçue ailleurs que dans notre forêt des Carnutes et réalisée par autant de tribus que compte encore notre pays, toutes jalouses, fières, chauvines, divisées, désunies. Parce qu’il n’y a jamais eu que dans nos grandes divisons que nous parvînmes à nous unir pour une cause qui nous dépassait. Et Clovis ne laissât pas le vide subsister bien longtemps entre Somme et Loire… Nous sommes une histoire, nous sommes une géographie, nous sommes des tribus et dans la forêt des Carnutes, nous savons bien comment s’établit le rassemblement chez nous. Incomparable à tout autre, non parce que nous sommes exceptionnels, mais parce que le monde se nomme diversité, parce que la terre n’est pas plate, notre rassemblement est un agrégat de contraires unis autour de ce qui nous dépasse. Dans l’histoire politique de notre pays, jamais rien ne vint de son Marais politique, mou, frileux et beaucoup trop consensuel pour se mettre en mesure de fabriquer le rassemblement national. Le rassemblement français ne fut jamais rien d’autre qu’une alchimie de franches différences et de mille nuances. Et Simone Veil, à laquelle il est ici rendu hommage, en fut la première surprise : alors que le texte de son prédécesseur croupissait à la chambre, elle trouva une majorité à droite autant qu’à gauche, autour d’un projet nettement plus ambitieux. Le centre qu’elle avait choisi comme camp ne lui fut d’aucune utilité. Elle ne savait pas que dans la forêt des Carnutes, les francs-maçons, l’église catholique et les voix politiques de chaque tribu, avaient accouché, dans la douleur comme d’ordinaire, d’un compromis qu’elle n’avait pas osé rêver. Qui veut contribuer au rassemblement des Français ne doit pas craindre de nager avec les piranhas…

 Gardons l’espoir

Alors c’est dans vos chaumières décorées selon vos goûts, dans vos familles animées par vos valeurs, quelles qu’elles soient, que je vous souhaite de trouver le réconfort dont chacun a besoin à cette époque de l’année. Et c’est ainsi que nous irons sur un rail éclairé par la lumière invaincue de la connaissance des nôtres, vers le rassemblement dont nous avons besoin pour continuer à vivre ensemble. La nuit finira.