La géopolitique quantique de Donald Trump contre le Sacré

La géopolitique quantique de Donald Trump

Les débuts de l’action de Trump ressemblent à de la mécanique quantique et confirment le changement de paradigme géopolitique en cours, en particulier dans une dimension qui touche au Sacré pour le peuple étasunien.

La géopolitique quantique de Donald TrumpLe fantasme de l’exceptionnalisme et du suprémacisme étasunien conduit naturellement à une inversion des causes et des effets, et par là à une inversion sémantique, que Georges W. Bush avait bien résumée après le 11septembre 2001, dans son langage simpliste : « Qui n’est pas avec nous est contre nous. » On peut reformuler cette maxime de la façon suivante : « Le pays qui refuse d’être sous domination étasunienne est une menace pour les États-Unis. » L’histoire de l’Égypte du général Gamal Abdel Nasser, de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, de tous les pays d’Amérique latine et de tant d’autres en témoignent. Aujourd’hui, il s’agit de l’Iran et nous y reviendrons.

Retour sur les origines d’un peuple

Cette notion d’exceptionnalisme étasunien relève du Sacré. Elle est inscrite dans les gènes de la nation étasunienne depuis ses origines : Une terre sans peuple – sympathique pour les indiens d’Amérique – pour un peuple sans terre qui a vocation à répandre la liberté, la démocratie et l’amour sur toute la planète. Fermez le ban !

Ainsi, les citoyens étasuniens, dans leur majorité, pensent que les guerres d’agression menées par leur pays depuis deux siècles sont des guerres de libération de peuples opprimés qui n’ont pas la chance de vivre selon le « way of life » étasunien. Fort heureusement, la petite musique jouée par des vétérans de ces guerres ainsi que les analyses d’intellectuels majoritairement dits « de gauche », mais pas seulement, apportent un point de vue différent qui prépare un peu ce peuple à la grande douche glacée qu’il s’apprête à recevoir.

Le pragmatisme contre le Sacré

En effet, Donald Trump, entrepreneur pragmatique et tribun charismatique, s’annonce, probablement malgré lui, comme le grand « désacralisateur », selon le néologisme inventé par Philippe Grasset sur son site « dedefensa.org ». Mais, et c’est là que cela devient cocasse, il le fait selon une logique qui entre en totale contradiction avec son action même. Son slogan, « Les États-Unis d’abord ! » vise à redonner de la fierté au peuple étasunien. On en connaît les voies et moyens : désengagement des forces armées de nombreux théâtres extérieurs – concentration des efforts dans la lutte contre DAESH et fin de la politique de « regime change » – et bascule des ressources dans une politique intérieure de réindustrialisation du pays. Cela passe par la normalisation des relations avec la Russie.

Seulement, voilà où le bât blesse. La fierté du peuple étasunien réside en grande partie dans ses mythes fondateurs qui, jusque-là, sont parvenus à tenir debout. Certes, les néoconservateurs ont fortement distendu le lien entre ces mythes fondateurs et la réalité sociale du pays. Néanmoins, ils ont réussi à sauvegarder la mythologie des origines, en particulier l’idée d’un exceptionnalisme étasunien, à travers l’affichage d’une suprématie technologique éternelle en matière d’armements, c’est-à-dire de capacité d’action pour étendre, par la volonté, le modèle étasunien au reste du monde, pour le bien de l’humanité.

Un premier accroc a été donné par le chef du Pentagone, le général Mattis, quand celui-ci a remis en cause le symbole absolu de la supériorité technologique étasunienne en matière d’armements, l’avion de combat F-35. Je relate cet épisode dans un autre article. Un deuxième accroc a été donné par Donald Trump lui-même, quand il a carrément remis en cause l’exceptionnalisme étasunien, en répondant à un journaliste qui insistait en disant que Poutine était un tueur : « Il y a beaucoup de tueurs. Nous avons beaucoup de tueurs. Bon, vous pensez que notre pays est tellement innocent ? »

En résumé, pour redonner de la fierté au peuple étasunien, grâce à une politique pragmatique de réindustrialisation du pays, Donald Trump s’attaque aux mythes fondateurs qui constituent la matrice de la fierté de ce peuple. C’est la douche glacée que j’évoque plus haut et nous verrons comment le peuple étasunien la recevra. Mais également, cette contradiction essentielle de la politique de Trump va se retrouver dans les décisions et les déclarations de l’administration Trump.

Nous en avons du reste des exemples récents. D’un côté, Donald Trump n’accrédite pas l’offensive sanglante de l’armée de Kiev dans le Donbass et nie que l’armée russe ait amassé des troupes à la frontière. De l’autre côté, le général Mattis désigne l’Iran en tant que menace pour les États-Unis, ce qui est insensé. Ainsi que le rappelle Paul Craig Roberts dans un article paru sur le site mondialisation.ca : « La dernière fois que l’Iran s’est lancé dans une guerre d’agression, ce fut dans la dernière décennie du XVIIIème siècle, lorsque l’Iran a reconquis le Caucase et la Géorgie, que l’Iran perdit bientôt au profit de la Russie. »

Dans le même temps, condamner Kiev (à juste raison) et Téhéran (à tort) est entièrement contradictoire, et il faut le dire un peu perturbant pour qui essaie de comprendre comment Trump va détendre et rationaliser les relations entre les États-Unis et la Russie. Et je n’évoque pas la question de la mer de Chine…

De la mécanique quantique

Il va falloir surveiller de très près l’évolution de ces situations, en particulier celle de l’Iran, et attendre ce qui sortira de la première rencontre réelle entre Donald Trump et Vladimir Poutine quand elle aura lieu.

Dans ce moment de grand basculement, de changement de paradigme géopolitique, l’enchaînement des événements relève plus de la mécanique quantique ou du mouvement brownien que de la logique cartésienne et de chaînes de causalité. En revanche, dans sa globalité, l’évolution actuelle indique bien la fin d’un système.

Régis Chamagne