
Plusieurs annonces récentes, dans la région du golfe persique et en Asie du sud-est, constituent des indices de l’accélération du changement de paradigme géopolitique en cours et en particulier de l’effondrement de l’influence étasunienne dans le monde consubstantielle de l’émergence de la Russie en tant que grande puissance.
Au Moyen-Orient
D’après le journal russe en ligne Sputnik du 11 novembre, l’Arabie Saoudite serait prête à acheter pour 10 milliards de dollars US de matériels militaire russe, en particulier des systèmes de missiles sol-sol SS-26 Iskander de courte et moyenne portée. Une visite du roi saoudien en Russie serait en préparation. Cette information est toutefois à prendre au conditionnel car un démenti avait été donné le 9 novembre par le directeur de Rostec qui fabrique ces systèmes.
Toujours d’après le même média, lors du salon aérospatial Dubaï Airshow 2015 les Émirats Arabes Unis (EAU) envisagent d’acheter des avions de chasse russes SU-35. On sait que les EAU sont prêts à se payer n’importe quel matériel militaire, même le plus cher, mais qu’en revanche ils n’ont pas les capacités humaines pour entretenir et mettre en œuvre ces matériels. En général, lorsqu’ils signent un contrat d’achat de matériel de guerre, celui-ci est assorti d’un accord de coopération ou de défense afin que le pays vendeur soit prêt à déployer des hommes pour servir le matériel vendu en cas de menace forte contre les EAU.
L’implication politique du pays vendeur étant généralement une requête de l’acheteur, cela signifie que si la Russie signait ce marché, elle s’engagerait politiquement aux côtés des EAU. Cela aurait des conséquences géopolitiques considérables dans la région, d’autant plus que l’on connaît les liens forts entre la Russie et l’Iran. À cet égard, on peut se demander si l’Iran, qui est présenté comme étant la menace principale pour les EAU, est réellement considéré comme tel ou si cela relève d’une posture politiquement correcte en direction des États-Unis et de leurs vassaux occidentaux. On peut en fait se demander si les EAU ne considèrent pas plutôt l’Arabie Saoudite comme source de menace à leur encontre ; le grand voisin potentiellement hégémonique dans la région.
En Asie du sud-est
Toujours selon la même source médiatique, on apprend que l’Indonésie remplacera ses vieux avions de chasse étasuniens F-5E Tiger II par des SU-35 russes. Cette information n’est pas donnée au conditionnel mais au futur de l’indicatif.
L’Indonésie avait déjà acheté des SU-27 et SU-30 en 2003 pour remplacer ses vieux A-4 Skyhawk à la suite d’un embargo sur les armements prononcé par les États-Unis à son encontre. Cet embargo avait fait suite aux événements du Timor oriental de 1991-1992, alors que historiquement les États-Unis avaient toujours soutenu concrètement les exactions du régime du président Suharto, en particulier l’annexion du Timor oriental en 1976 et le génocide perpétré.
Officiellement pays non-aligné, l’Indonésie avait toujours privilégié l’achat d’armes occidentales pour assurer sa défense. Cette époque est révolue et l’on assiste à un rééquilibrage des achats d’armements de l’Indonésie, et donc des relations diplomatiques, vers la Russie et la Chine puisqu’il est en outre question de livraison de missiles mer-mer chinois à la marine indonésienne.
Certes l’Indonésie n’était jusqu’à ce jour pas considérée par les États-Unis comme un pays stratégique dans la région. C’est tout juste si Zbigniew Brzezinski l’évoque dans Le grand échiquier. Cela étant, il n’évoque pas non plus les pays d’Amérique latine au motif que leur dépendance vis à vis des États-Unis était considérée en 1997 comme acquise pour l’éternité, selon la doctrine Monroe. On voit le résultat aujourd’hui. Peut-être la même considération valait-elle pour l’Indonésie. Il n’était pas nécessaire de s’en préoccuper et ils pouvaient « jouer avec » comme bon leur semblait, l’embargo sur les armements de 2003 étant probablement la manifestation de ce sentiment.
Il se pourrait bien que cette vision change à moyen terme. En effet, si l’on regarde une carte, on constate que l’Indonésie est un pont entre d’une part la Chine, les Philippines et plus généralement l’Asie du sud-est et d’autre part l’Australie. Or l’Australie, pays « du camp occidental », prise en otage dans le programme F-35, ruineux et qui ne débouchera sur rien mais contribuera à remplir les poubelles de l’histoire, se trouve confrontée à la nécessité de moderniser sa défense aérienne. Quelle vision aura-t-elle alors d’une Indonésie qui équipe la sienne de SU-35 ?
Toutes ces informations proviennent d’une même source, en l’occurrence le média russe Sputnik. Seule la dernière information correspond à un contrat d’ores et déjà signé. Les deux premières relatent des négociations en cours. Évidemment il ne faut pas être dupe du fait qu’un média d’État est un outil de propagande, et c’est vrai également en occident où les médias d’État jouent de conserve avec les médias privés aux mains de l’oligarchie. À cet égard, il faut noter que les propagandes de part et d’autre accompagnent le changement de paradigme géopolitique en cours. Et force est de reconnaître que dans ce domaine la Russie affiche sa supériorité par une propagande maîtrisée et dominatrice face à une propagande occidentale hargneuse et sur la défensive.
Ainsi, à travers tous ces indices, factuels, potentiels ou du niveau de qualité de la propagande, on observe en temps réel la manifestation d’un changement dans les relations internationales, changement des relations entre différents protagonistes d’une part et changement de poids relatif de ces protagonistes d’autre part.
