
« On ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse. »
Georges Clémenceau
Ce que nous savons des faits
Le 17 septembre, des avions de la coalition emmenée par les États-Unis ont bombardé des positions de l’armée syrienne au sud de l’aérodrome de Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie, sur les rives orientales de l’Euphrate, en violation de la trêve qui venait d’être signée peu de temps auparavant. Le bombardement, qui a duré plus d’une heure (67 minute selon la presse russe), a été précédé d’une mission de reconnaissance effectuée par un drone. Dans la foulée, les terroristes ont lancé une attaque contre les positions des forces gouvernementales.
Les Américains se sont excusé officiellement auprès de la Syrie et ont plaidé l’erreur de ciblage. Du côté de la Syrie et de la Russie, on ne croit pas à l’erreur de ciblage mais on pense que cette action était voulue. Bachar El-Assad a déclaré lui-même : « Vous ne pouvez pas bombarder pendant une heure, puis dire que c’était une erreur. »
Alors, qui croire ? Depuis Schrödinger et Heisenberg, nous savons que nous vivons dans un univers probabiliste. Il nous revient donc d’évaluer les probabilités de chaque scénario.
L’erreur de ciblage est possible. On a beau disposer de moyens de renseignement de très haute technologie, l’analyse finale repose toujours sur de l’intelligence humaine, et il se peut que certains en manquent parfois. Après tout, souvenons-nous que les Américains avaient bombardé par erreur l’ambassade de Chine à Belgrade au cours de la campagne aérienne contre Milosevic.
L’acte intentionnel est également possible. La coordination entre l’aviation de la coalition occidentale et les forces terrestres des terroristes peut le laisser penser. Le lieu de l’attaque peut aussi le laisser penser. En effet, l’aérodrome de Deir ez-Zor se situe à l’est de l’Euphrate et la stratégie des faucons américains vise à faire de l’Euphrate une ligne rouge pour le régime de Bachar El-Assad, en vue de créer un état sunnite entre l’Irak chiite et la Syrie.
Compte tenu de l’attitude récurrente des occidentaux qui profitent de chaque trêve pour réarmer les terroristes et de la ligne de Vladimir Poutine qui tente avec persévérance de régler le conflit syrien par la voie diplomatique, je considère que la probabilité d’une manœuvre délibérée est bien supérieure à la probabilité d’une erreur de ciblage.
Quelles conséquences ?
D’après les sites d’information russes, le 20 septembre, 3 missiles Calibre tirés par la flotte russe sur un centre de commandement des terroristes dans la région d’Alep ont tué une trentaine d’officiers : israéliens, britanniques, turcs, quataris et saoudis. Ces officiers dirigeaient les opérations des terroristes dans la région. En outre, les médias russes rappellent que de tous les pays présents en Syrie, seuls la Russie et l’Iran le sont légalement, à la demande du Président Assad.
Une autre conséquence de cette attaque, qu’elle fut préméditée ou commise par erreur, est le changement des règles d’ouverture du feu pour l’armée syrienne et ses supports étrangers, russes en particulier. La Russie a déclaré : « Tout avion qui menacera l’armée syrienne sera abattu. »
Cela a une signification très lourde. En effet, les règles d’ouverture du feu sont des règles de droit qui dessinent les limites posées par le pouvoir politique à l’emploi de la force. Elles expriment donc la quintessence politique d’une opération militaire. Elles se déclinent ensuite en procédures, en processus, qui dépendent des moyens dont on dispose.
Dans le cas d’actions aériennes menées par plusieurs donneurs d’ordres dans le même espace aérien, comme c’est la cas en Syrie puisqu’il y a deux centres d’opérations sur le théâtre, l’un occidental et l’autre russo-syrien, les procédures de déconfliction sont forcément complexes et doivent faire l’objet de négociations et de coordination entre les deux parties. Et même si la Russie possède les moyens techniques de la maîtrise de l’espace aérien au-dessus de la Syrie, elle entretenait un échange d’informations avec le centre d’opérations occidental. En durcissant les règles d’ouverture du feu, la Russie et la Syrie assument une démarche vers la prise de contrôle sans partage de l’espace aérien syrien, et peut-être à terme l’exclusion des avions occidentaux du ciel syrien. La sanctuarisation de l’espace aérien syrien n’est pas encore décrétée formellement mais les événements en cours y mènent lentement mais sûrement. On peut d’ailleurs évoquer la destruction en vol d’un drone et d’un chasseur F-16 israéliens par la défense anti-aérienne syrienne au-dessus du Golan récemment.
En conclusion, cet épisode marque une évolution très importante des rapports de confiance et des rapports de forces dans la région. La Russie procède, pas à pas, à la sanctuarisation du territoire syrien et au déploiement d’une présence militaire consistante et durable en Syrie. Vladimir Poutine vient d’avancer une pièce maîtresse sur ce grand jeu d’échec.